Mister DCY « Fabrice » m’a collé la lourde responsabilité de parler d’éducation (moi qui ne suis même pas encore enseignante, eh ah !). J’ai tout de suite songé au primaire. Oui ! Parce que quand je me retourne, je constate que j’y suis passée depuis bientôt vingt-ans. Et que c’était sans doute une des plus belles périodes de ma vie et de mon apprentissage scolaire. Et j’ai un peu, non beaucoup, de mal à reconnaître la génération derrière moi.
Je parle de cette génération qui court dans les rues aujourd’hui, les petites mains chargées d’un téléphone à deux puces pour les moins ambitieux ou d’un smartphone dernier cri pour les plus nantis. Et je m’interroge. Sur plusieurs aspects. Peut-être c’est moi le problème. Ou alors c’est eux. Ou alors c’est vraiment moi qui ne capte pas bien l’époque dans laquelle je vis. (Certains disent que c’est la génération Z et qu’avec eux, tout va un peu plus vite). Cela peut être vrai, dans le bon sens ou l’exacerbation des travers. Je m’explique.

L’apprentissage par la télé et les divers
Depuis bientôt cinq ans, j’ai élu domicile dans une baraque à deux pas d’une école publique à Yaoundé. C’est un véritable laboratoire d’observation, d’analyse et de philosophie pour qui veut trop bien comprendre. L’enchaînement de « Je la vue », « Je la dis que », « Donne-la » et de « Demande-le » que j’entends des conversations de locataires de cet établissement m’inquiète. Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Les parents ne veillent-ils plus ? Les instituteurs regrettent-ils trop leurs choix ? Auraient-ils aimé être ailleurs ? Etait-ce trop dur pour eux mais ils ont quand même entendu ou lu leurs noms sur la liste des lauréats ? Je m’interroge.
Parce que cette vague est problématique. Et il ne s’agit pas seulement des trouvailles langagières que ces jeunes débitent. Il s’agit aussi de leurs sujets de conversation. Je ne suis pas du genre à estimer que c’était mieux avant. Non du tout. Mais quand je regarde et j’écoute nos cadets, nos enfants, ça craint. De ce qu’ils croient être, de ce qu’ils espèrent valoir et de ce qu’ils vont devenir. Et j’envie un peu mon époque.
Parce qu’au moment où les fillettes s’attribuent déjà des personnages de « télénovélas » qu’elles subissent sans doute à longueur d’après-midi et de soirée dans leurs cocons familiaux ou par les divers de leurs maîtresses plus que maîtres d’école- il y en a de moins en moins d’ailleurs, sans statistiques aucune hein, je ne me base que sur l’observation du laboratoire à 30 mètres de moi) dans les salles de classe, ça craint. Elles discutent davantage de la « trahison » de Ruby (oui oui ! des mots aussi costauds, ça se dit déjà au primaire), du « matérialisme » de Térésa ou de la naïveté de Luciana, ça craint.

Où sont passés les bâtonnets ?
Je me souviens qu’à l’époque (milieu des années 90), la télévision exerçait encore sa phase de fascination sur le public camerounais et que les téléfilms, feuilletons, sitcom ou autres télénovelas étaient davantage diffusés à des heures tardives et qu’il serait difficile pour l’élève de CE2 ou de CM1 que j’étais d’en apercevoir un bout ou d’interpréter les attitudes des personnages. Là au moins, je peux me vanter d’une époque où on savait réciter ses règles de calcul, d’arithmétique ou tout de moins de grammaire ou d’orthographe. Aujourd’hui, je cherche cette passion chez certains (pour ne pas dire la plupart). Sans succès.
Epoque des bâtonnets. Oui. C’est maigres, colorés mais ô combien formateurs bâtonnets. Ils nous ont appris des astuces pour le calcul, à mettre de la logique dans notre réflexion, à visualiser et matérialiser les idées. Car oui, imaginer huit bâtonnets sur une table et cherche les deux autres dans la salle demandait un peu de bon sens. Les bâtonnets nous l’ont appris.
Epoque des règles de calcul retenues à coup de quelques récitations, de quelques exemples alimentaires sur les beignets, les tomates ou les oranges, de quelque envie de s’émerveiller de tout et de craindre l’interdit venu de l’adulte. Car oui, j’ai aimé mon enfance. Elle reste jusqu’ici la plus belle période de ma vie. Celle de l’insouciance. Celle du regard bienveillant des parents sur les dessins incompréhensibles (et pour dire vrai, loin des résultats espérés). Celles des maîtres et des maîtresses craints mais tout aussi attentifs aux besoins réels de chaque élève. De chacun de mes camarades et moi. C’était la belle époque.

Le bateau ivre de la dérive
La génération depuis les années 2000 arrive-t-elle à vivre cela ? J’ai des doutes. Encore plus au regard du profil de leurs formateurs aujourd’hui. Tous n’ont pas nécessairement séjourné dans des institutions de formation agréées par l’Etat. Pour la plupart, baptisés pour un temporaire devenu définitif « vacataires ». Nantis de leur probatoire après quatre ou cinq tentatives d’un baccalauréat, ou encore d’une licence en lettres modernes françaises, ils se voient confier la lourde responsabilité d’enseigner à la fois l’écriture, le calcul, la grammaire et l’orthographe, et pour les plus vaillants, l’arithmétique ou la géométrie en classe de cours moyen première ou deuxième année. C’est sont eux qui définissent et donnent un sens à l’instruction des tout-petits, les oubliés de notre système éducatif.
Je ne suis pas donneuse de leçons, je le rappelle. Simplement, je n’ai pas réussi à rédiger de conclusion pour faire la morale, surtout que c’est sans doute le meilleur moyen de ne pas se faire écouter. Rappelons-nous (et cela nous concerne tous) que la base détermine ce que nous deviendrons et que certaines lacunes seront un peu difficiles, mais pas impossibles à rattraper. A condition d’avoir pris conscience de ce nous sommes dans le faux. Conscience de ce que l’éducation primaire a résolument embarqué le bateau ivre de la dérive. Et que nous pouvons tous l’arrêter.
Au final, je devrais peut-être changer de domicile. A cette allure, je risque d’avoir peur de tout et surtout de ne pouvoir faire confiance aux cadets dans quelques années. Mais puisque la nature fait bien les choses, je crois que l’équilibre naturel reviendra. Enfin, je l’espère. Le Pape Jean-Paul II avait dit « N’ayez pas peur » ! Je me contente de sa recommandation pour dormir tranquille et espérer que ce que j’ai raconté dans les lignes ci-dessus n’est qu’un cauchemar passager.

Alexandra Tchuileu
#ParolesDuneWestern
#TeamVelo

5 commentaires sur « Les oubliés d’un système éducatif : Ça craint… »

  1. J’ai quand même un avis, mieux une approche différente. Soit dit en passant ton article est impecc.
    En dehors du fait que les générations soient différentes etc etc, je pense surtout que le véritable problème se situe dans le choix de l’école primaire (1), dans l’encadrement à la maison (2) et même dans le niveau scolaire moyen de l’entourage familial.

    Quand ton entourage familial ne sait pas qu’on ne dit pas « je l’ai dit que » et n’est pas capable de corriger l’enfant, bah difficile que l’enfant sache à son tour.

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    1. Je suis d’accord ici. Surtout avec les derniers points.
      Et sidéré de voir à quel point encore de nos jours beaucoup de jeunes en licence ou Master commettent d’horribles fautes.
      La base…

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  2. Une fois de plus, comme dans tout ce qui concerne l’éducation, la famille a le plus important des rôles à jouer: renforcer l’enseignement que reçoit l’enfant et le rendre pertinent et pratique, en faisant ses devoirs avec lui, en l’emmenant à utiliser ce qu’il a appris à l’école à la maison, en le poussant à regarder des programmes qui stimuleront sa curiosité comme ceux de national geographic ou discovery channel…
    Je rappelle en passant, que nos cadets ne sont pas les seuls nuls en grammaire et autres… Mes propres camarades en second cycle universitaire vous donneraient facilement de quoi transpirer, si vous lisiez leurs notes. Je vais me répéter mais il faut faire comprendre aux élèves, anciens et actuels, qu’ils doivent refléter leurs diplômes ou du moins l’enseignement reçu, sans craindre de faire  »ringard » ou intello…

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